AKPHAEZYA - Anthology II - Links from the Dead Trinity (Autoproduction) - 30/07/2004 @ 23h19
"Si la scène metal était ramenée à un chapiteau de cirque, Akphaezya seraient tout à la fois le trapéziste, le clown arlequin et l'Elephant Man de service. Acrobatique, polychrome et anamorphique, trois adjectifs que l'on pourrait accoler à la carte de visite de cette jeune troupe française, et il resterait de la place pour une ribambelle d'autres étiquettes.
En fait la seule façon de fournir une indication un minimum approchante de ce que font Akphaezya est de ne pas loucher exclusivement sur la musique mais d'insister plutôt sur sa justification: le concept (ou l'illusion d'un concept). En effet, ce n'est pas un hasard si l'album porte le titre “Anthology”, mais bien parce qu'il relate une vaste histoire, en l'occurence la chronique d'un royaume fictionnel. Le livret arbore à cet effet une carte façon RPG fixant des endroits aux noms évocateurs (“Mountains of Imagination”, “Eternal Glaciers of Perseverance”, “Lake of the Frozen Tears”, etc.) comme théâtre de l'histoire riche en tragédies qui se noue au fil des morceaux. Ceux qui pensent déjà qu'Akphaezya se résument à une façade fantasy bon marché à la Rhapsody pourraient bien se tromper lourdement, car l'épaisseur des textes et la matière narrative que l'auteur y injecte se rapproche davantage d'une saga épique façon Bal Sagoth. Le fait que la carte soit détaillée avec soin et affiche une multitude de sites, la volonté d'introduire les protagonistes et leurs caractères avec vraisemblance et complexité sur plusieurs époques, tout laisse à penser que l'album pourrait être partie d'un total, un roman peut-être, une série de campagnes rôlesques plus sûrement. Mais peut-être qu'il n'en est rien et que ce contexte imaginaire a simplement valeur de “code secret” offrant une enveloppe de référence aux émotions insufflées dans la composition. Voilà qui en tout cas explique l'ubiquité situationnelle avec laquelle Akphaezya confrontent: chaque personnage, chaque lieu, chaque époque, chaque rebondissement du “récit” sont rattachés à leur propre alter ego musical, sans égard particulier pour une quelconque harmonisation des styles utilisés.
Le metal d'Akphaezya fait honneur à l'étiquette “progressif” de par la seule abondance digitale qui habille certaines architectures de guitare. Prog' alors? Oui et non. Parce que le prog' pur et dur a beau être ouvert à des familles de sons et de techniques étrangères aux sphères du metal (en particulier le jazz), je vous met au défi de me trouver un groupe qui va piocher dans autant d'horizons différents à la minute. Oui je sais vous allez penser: “Allez c'est bon, il débloque encore le père Uriel, y en a plein des groupes touche-à-tout et outrageusement talentueux à la fois, qu'est-ce que celui-ci a de plus qu'un Ephel Duath, qu'un Solefald ou qu'un Arcturus?” Réponse: il n'a rien de plus au sens propre, mais dans l'absolu voici une liste indicative de ce qu'il a dans sa besace en plus des groupes ci-dessus et de bien d'autres: black, death, rock, thrash old-school, stoner, jazz, blues, soul, folk, ethno, sympho, musique d'ascenseur, médiéval, électro, chanson, reggae (!) – et c'est tout sauf une énumération au hasard, chaque style cité est très distinctivement de la partie à un moment ou à un autre, sans compter qu'il n'est pas rare de tomber nez à nez avec des mariages pour le moins ahurissants, au premier abord. Avant-gardiste? Certainement... Indécis? Pas possible, les incursions dans chaque genre sont trop travaillées, trop résolues. Le groupe sait exactement ce qu'il fait et pourquoi il le fait. Nous, non...
“Trop c'est trop”, pourrait-on s'écrier en reprochant au groupe de ne pas avoir su opérer un tri sélectif parmi ses envies. Mais en définitive si on devait illustrer par une maxime de ce genre le déficit relatif de “Anthology II”, ce serait plutôt “Trop c'est pas assez”. Pourquoi? Parce que rien n'est à jeter ou si peu de cette myriade de combinaisons et d'inventions. Difficile de dire si tout cadre bien à sa juste place (les débats sont ouverts), mais vu que tout se laisse aisément écouter sur une échelle allant de l'intéressant au passionnant avec des escales renouvelées par l'intrigant, c'est le temps de jeu qui devient tout à fait insuffisant pour que l'on ait le loisir de s'accoutumer à un plan avant qu'il fasse un bon en avant, en arrière ou latéral de plusieurs années-lumière... Akphaezya connaissent le chemin dans ce labyrinthe stylistico-temporel. L'auditeur, lui, aura l'occasion de s'y perdre mille fois avant de se constituer un petit fil d'Ariane qui, de toute façon, rétrécira par l'arrière au fur et à mesure qu'il prendra de la longueur vers l'avant. Procéder par élimination pour garder un jeu de styles réduit à optimiser serait un gâchis: la perspective idéale serait un double- voire un triple-album bâti à la façon d'une comédie musicale flamboyante où le medium serait à la mesure de l'esprit-source. Chiche?
L'album contourne adroitement ce qui aurait pu être son chat noir. En effet, une musique qui affiche autant de facettes, dont certaines s'étagent sur plusieurs niveaux d'accords, ne peut pas se permettre de trahir l'auditeur en lui sabotant l'écoute par une mauvaise production. Or, la production de “Anthology II” – sans être formidable – est suffisante. Si les sections les plus peuplées de la partition ont parfois un côté un peu trop “noisy” en cela qu'elles soudent les pistes entre elles au lieu de les aérer, l'impression générale est bien celle d'une musique en trois dimensions ayant valeur de voyage musical. Le chant pluriel et omniprésent de Nehl Aëlin agit comme un nectar concentré: suave au palais mais porteur d'arrière-goûts lointains, de poisons tantôt enivrants, tantôt traîtres, voire violents, qui se répandent dans le conduit auditif à l'insu de toute attente. Pop, hard, blues, sirène, garce, death ou carrément alto (Tarja en mieux, quoi...), cette étonnante frontwoman semble maîtriser tous les registres et, plus stupéfiant encore, les enchaînements les plus abrupts de l'un à l'autre. Suivre les coups de folie de cette voix caméléon au fil de la musique sollicite la perception à l'excès, mais finit par provoquer le même type d'excitation échevelée que l'on ressent devant tout ce qui nous interpelle et nous dépasse à la fois, par exemple la fièvre de formes et de couleurs qui peut s'emparer de celui qui essaye, en vain, d'assimiler et de mémoriser tous les détails d'une immense fresque baroque à la Tiepolo.
Lorsque les enceintes s'écrasent, la perplexité devant la dispersion manifeste de l'oeuvre le dispute à une certaine forme d'admiration envers une telle manne d'influences conjuguée au culot de ceux qui osent, plongent, ne rejettent rien d'office, et n'ont pas peur de se ramasser, quelques fois. A part urger le groupe de chercher à améliorer encore le mix et la qualité de la prise de son sur leurs instruments, on leur conseillera peut-être l'écoute de groupe comme Lux Occulta ou Demimonde, cadors confirmés dans l'art des fusions underground improbables et pourtant si vivantes, si “logiques” à l'arrivée... C'est auprès d'exemples de cette stature que la graine est à prendre.
Octroyer une note à “Anthology II” participerait presque de l'absurde à cause du nombre et de la fréquence des subdivisions autonomes qui rendent toute observation herméneutique caduque – ou alors réservée à des esprits synthétiques remarquables (là je me couche). Ce qui n'empêche pas cet album de générer des certitudes. La certitude que nos quatre trublions ont en réserve vive tout ce qu'il faut pour convertir tout ce qu'ils touchent en qualité brute. La certitude que le CD ne verra pas tous les jours la couleur de ma hi-fi, nonobstant sa richesse insensée, car je n'aurai pas assez de patience et de volonté à sacrifier pour en faire un ami. La certitude, par contre, qu'il existera un public qui saura s'enflammer pour Akphaezya et, qui sait, constituer un petit noyau de fidèles autour duquel le groupe assoiera un début de renommée.
Akphaezya est un éternel recommencement, un challenge, et un challenge qui vaut certainement d'être relevé pour les plus téméraires et ceux chez qui la mention du mot “sectarisme” provoque de l'urticaire."

(Chronique de l'Album faite par Uriel pour Violent-solutions

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